La gestion des migrations impose de définir des règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers. Catherine Wihtol de Wenden, Professeure émérite à Sciences Po Paris, revient sur l’évolution de la politique migratoire de la France depuis 1945. Cette dernière est marquée par les transformations économiques et politiques des dernières décennies et laisse apparaître des évolutions très différentes selon les époques.

La question qui m’est posée c’est “Quelle est l’évolution de la politique migratoire en France depuis 1945” ?

En 1945 on remet sur la table tous les éléments de la politique française de l’immigration qui avait été très peu gérée par l’Etat précédemment.

Donc, on créé un monopole d’Etat du recrutement des étrangers par l’Office National de l’Immigration qui est l’ancêtre de ce que l’on appelle aujourd’hui l’OFII – l’Office Français d’Immigration et d’Intégration – qui avait le monopole du recrutement. Auparavant c’était les employeurs qui recrutaient.

On entre dans une période que l’on appellera les 30 glorieuses qui est une période de croissance. Donc cet Office National de l’Immigration a pour objet d’avoir le monopole du recrutement et très vite il va être dépassé par la demande de main d’œuvre, c’est une époque de croissance exceptionnelle dans une époque où on avait des classes creuses, on avait très peu de gens qui étaient nés dans l’entre-deux guerres, il y avait les effets des deux guerres mondiales et donc on va chercher de la main d’œuvre à l’étranger et notamment les employeurs.

En 1968, l’Office National de l’Immigration ne recrutait plus que 18% des entrées, 82% entraient illégalement directement amenés par les employeurs ou de leur plein gré comme l’essentiel des portugais qui ont traversé les Pyrénées à pied et qui sont venus comme travailleurs irréguliers en France.

Ensuite, ce que l’on met également à plat à cette période c’est le droit de la nationalité qui va être un équilibre droit du sol, droit du sang. On avait réouvert le droit du sol qui était un droit antérieur à la révolution française, au Code civil de Napoléon parce que l’on a considéré qu’il fallait des français avec les étrangers dans un contexte de diminution de la population en France. Donc, bien avant nos voisins européens qui sont restés très longtemps sur le droit du sang du Code civil napoléonien.

Et puis aussi, on a créé l’ordonnance de l’entrée et du séjour des étrangers en France qui existe toujours depuis 1945 et que l’on modifie chaque fois que l’on fait une nouvelle loi sur l’immigration.

On a eu après une période où on ne légiférait pas sur l’immigration entre 1945 et 1980, tout se faisait par téléphone à l’époque il n’y avait pas d’Internet mais c’était par Telex, c’était simplement par des conversations, donc aucun moyen d’attaquer la loi sur l’immigration qui d’ailleurs n’existait pas, il n’y avait que l’ordonnance de 1945 (ce que certains ont appelé l’infra-droit).

On est arrivé à partir de 1980, au contraire, à une sorte de frénésie législative qui consistait à adopter une nouvelle loi sur l’immigration et le séjour chaque fois qu’il y avait un changement de gouvernement. La 1ère c’est la loi Bonnet à la fin de la période Giscard qui n’a jamais été appliquée puisqu’ensuite en 1981 on a changé de majorité.

Ensuite on a eu une alternance de lois qui pour l’essentiel sont allées dans le durcissement des politiques migratoires et aussi dans la fin progressive d’une politique d’immigration qui consistait surtout à une politique de main d’œuvre.

On a suspendu l’immigration de travail salarié en 1974, comme beaucoup de nos voisins européens, vers une migration de plus en plus sécuritaire.

Donc on a durci tous les moyens légaux d’entrée sur le territoire français. On a durci les conditions de l’asile, on est signataire de la Convention de Genève et on est obligé de l’appliquer, mais on a restreint avec les notions de « pays sûrs », « pays tiers sûrs », etc Et puis on a fortement restreint les conditions du regroupement familial. On est devenu de plus en plus vigilant sur les migrations d’ordre sanitaire.

Aujourd’hui on a quand même ouvert aux étudiants, puisque la plupart des pays européens ont ouvert la migration étudiante pour attirer les plus qualifiés pour rester dans la compétition internationale.

L’essentiel de l’immigration en France comme dans les autres pays européens aujourd’hui c’est le regroupement familial, tempéré par les réfugiés, puisqu’on est signataire de la convention de Genève, et par l’entrée des étudiants. Les travailleurs ne sont que 15 à 20 % des entrées légales annuelles en France et dans les pays européens.

On a un chiffre de la présence immigrée qui est très stable par ce que les nouveaux entrants s’équilibrent à peu près avec les nouveaux français par naissance, par acquisition de la nationalité, par mariage.

Donc en gros, on est autour de 200 à 220 000 entrées par an, parfois 250 000. Et les nouveaux français c’est autour de 180 à 200 000 par an. Donc depuis les années 1980 on est autour de 4,2 millions d’étrangers en France qui est un chiffre extrêmement stable et la crise de 2015 n’a pas changé radicalement la tendance en la matière.